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Discours prononcé par S.A.R. le Grand-Duc à Slonsk (Sonnenburg)

24.12.2014

Culture Discours

Cérémonie commémorative à l’occasion du 70ème anniversaire de l’assassinat des prisonniers du camp de Sonnenburg le 30 janvier 2015

Discours prononcé par Son Altesse Royale le Grand-Duc

 

 

Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Voïvode, Monsieur le ministre, Monsieur le maréchal, Monsieur le maire, Excellence, Mesdames et Messieurs, chers citoyens de la commune de Slonsk, chers invités, chers compatriotes,
Sonnenburg hier, Slonsk aujourd’hui, c’est ce qu’on appelle un « lieu de mémoire » de l’histoire luxembourgeoise.
Vous le savez peut-être, le lieu de mémoire est un concept forgé par l’œuvre du grand historien français Pierre Nora. L’historien l’explique en ses termes : « Un objet devient lieu de mémoire, quand il échappe à l’oubli, et quand une collectivité le réinvestit de son affect et de ses émotions. »
Le massacre des 819 détenus de la prison de Sonnenburg dans la nuit du 30 au 31 janvier 1945, dont 91 jeunes Luxembourgeois, est d’abord un des moments les plus noirs de notre histoire.
Il n’y a guère d’endroit et de moment comparables, où tant de mes compatriotes innocents perdirent leur vie, en étant sauvagement assassinés. Il n’y a guère non plus d’endroit et de moment comparables, où la tragédie de « l’enrôlement de force » fut aussi tangible.
Aussi différents soient-ils, ces jeunes Luxembourgeois avaient en commun de s’être soustrait à l’obligation de servir dans une armée d’occupation, qui n’était pas la leur. On les appelait des «réfractaires ». Leur acte de courage et de résistance était passible de la peine de mort. Mais leur peine avait été commuée en perpétuité, avant que l’arrivée des troupes de l’Armée rouge n’incite les responsables nazis à un crime de guerre impardonnable.
Sonnenburg fait écho à d’autres massacres épouvantables, comme Katyn ou Oradour-sur-Glane…
Dans les souffrances et dans les tragédies de la Deuxième guerre mondiale s’est parachevée la construction de notre nation. Voilà pourquoi ce qui s’est passé ici-même compte tant pour notre collectivité nationale.
  
Monsieur le maire,
J’aimerais vous exprimer ma profonde gratitude, ensemble avec le peuple luxembourgeois, les familles des victimes et tous les enrôlés de force, dont certains sont ici présents, de cultiver la mémoire de ce lieu, « notre mémoire » à tous avec tant d’abnégation.
Votre action nous va droit au cœur.
Ma visite d’Etat de l’année dernière dans votre beau pays reste encore profondément ancrée dans ma mémoire. J’ai été très impressionné par cette force d’âme polonaise, capable à la fois de rester aussi fidèle au passé trop souvent tragique et de préparer l’avenir avec tant d’optimisme.
Je songe aussi à ce moment fort de la visite de mes parents ici-même à Slonsk en 1993, lorsqu’ils déposèrent une gerbe de fleurs sur la tombe des martyrs.
Le soin qui est apporté au souvenir de ceux qui ont combattu pour notre liberté commune traduit l’attachement du peuple polonais à des valeurs morales et spirituelles élevées.
L’inauguration du Musée de la martyrologie, à laquelle nous allons procéder aujourd’hui pérennisera la mémoire de toutes les victimes qui ont souffert et qui sont mortes dans la prison de Sonnenburg. Elles provenaient de l’Europe toute entière. Dans cette nuit fatidique de fin janvier 1945, ces hommes ont été massacrés - quels que soient leur origine et les motifs de leur incarcération - au nom d’une idéologie barbare.
 
Chers amis polonais,
C’est bien une leçon de fidélité et de générosité que vous nous donnez.
A nous, de nous en montrer dignes !
Si mon pays s’efforce de se montrer à la hauteur de son devoir de mémoire, c’est d’abord à la Fédération des enrôlés de force qu’il le doit. C’est une grande émotion pour moi que de pouvoir en saluer une délégation entourée de son président, M. Erny Lamborelle.
Le sacrifice de ces milliers de jeunes Luxembourgeois, incorporés dans l’armée occupante, nous vaut aujourd’hui d’être une nation libre dans une Europe unie. Leur action nous vaut aussi de cultiver le souvenir du camp et de la prison nazie de Sonnenburg dans notre mémoire collective.
Il y a presque 20 ans, la commémoration du cinquantenaire du massacre avait déjà trouvé un grand écho en mettant à sa juste place cet événement dans l’histoire nationale. Je voudrais aussi rendre hommage à la part prépondérante des travaux des historiens pour empêcher que cette nuit tragique ne tombe dans l’oubli.
Alors que le monde entier est venu se recueillir à Auschwitz cette semaine, le combat pour la mémoire demeure l’enjeu essentiel de notre temps. Notre engagement à cultiver celle-ci s’impose comme un serment.
Avec la construction européenne, les leçons essentielles d’une tragédie inégalée ont été tirées. Notre partenariat au sein de l’Union européenne est le signe d’une nouvelle ère.
Nous avons toutes les raisons de nous en réjouir, tout en restant cependant vigilant face aux extrémismes de tous bords qui nous guettent aussi sur notre continent.
C’est la pleine conscience des heures les plus sombres de notre histoire et l’hommage à nos héros du passé qui permettent de mesurer la valeur réelle des choses :


Chers Luxembourgeois, vous qui avez donné votre vie pour votre patrie, nous ne vous oublierons jamais !