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Allocution de Son Altesse Royale la Grande-Duchesse au CFNU pour les enfants défavorisés dans le monde

29.05.2008

Déjeuner annuel du cercle féminin des Nations Unies Genève (CFNU) à Divonne (F). Allocution de la Grande-Duchesse en sa double qualité d'Eminent Défenseur Unicef pour les enfants (Eminent Advocate for children) et d'Ambassadeur de bonne volonté de l'Unesco.

Madame la Présidente, Mesdames,

Je vous remercie de tout cœur pour vos si aimables paroles de bienvenue. Sachez que je suis ravie d'être ici à Divonne à vos côtés, car en m'invitant à présider ce déjeuner aujourd'hui, le Cercle féminin des Nations Unies m'a accordé un double privilège.

Le premier est de pouvoir m'adresser à cette éminente assemblée, composée de femmes engagées. Je sais combien votre association est active et importante dans le tissage de liens de compréhension et d'amitié entre toutes les nationalités, comme le prouve cette assistance. Je salue également votre action en faveur de l'enfance défavorisée à travers le monde.

Votre engagement à toutes est aussi le mien. Notre sensibilité de femmes, nourrie par des expériences communes, nous met en position d'appréhender les problèmes de façon un peu différente. Et s'il n'est pas dans mon propos de souligner à l'excès notre différence - et plutôt ce qui fait notre complémentarité avec les hommes -, je crois cependant utile d'en prendre conscience, notamment pour faire bouger les choses et pour refuser la fatalité.

Le deuxième privilège est encore de retrouver ces terres genevoises si chères à mon cœur. Genève et sa région évoquent tant de souvenirs familiers, scolaires ou personnels que j'y reviens toujours avec autant de plaisir et d'émotion. Votre invitation m'a permis de retrouver un endroit que j'aime et où je me sens bien. Et je voulais tout simplement vous en remercier.

Mesdames,

Il y a un peu plus d'un an, et à quelques kilomètres d'ici, l'UNICEF, en la personne de sa directrice générale Madame Veneman, me faisait l'honneur de me nommer «Eminent advocate for children».

A travers cette nomination, je suis en train de développer un étroit partenariat avec l'UNICEF et les services dirigés par Mme Veneman, dont je voudrais louer l'engagement remarquable. Je voudrais aussi saluer le formidable travail de l'organisation du Professeur Piot, à l'ONUSIDA, avec qui l'UNICEF collabore de manière très efficace.

L'honneur qui m'a été fait il y a un an avec cette nomination, n'est rien ou très peu face au sentiment de responsabilité que je ressens.

Peut-être savez-vous que j'ai choisi de consacrer mon action dans le cadre de ce titre «aux enfants orphelins du SIDA» et «aux enfants soldats». Ces deux «plaies» que nous avons évoquées sont un véritable crève-cœur pour tous celles et ceux qui se préoccupent du devenir de l'humanité.

Il est malheureusement très frappant de constater que le drame des «orphelins du SIDA» et celui des «enfants-soldats» sont des problématiques propres à notre temps et à notre civilisation. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu leur donner la priorité.

Dans le cadre de notre réunion, je voudrais plus particulièrement aborder la problématique des orphelins du SIDA, ce que le journaliste Michael Fleshman avec beaucoup d'acuité décrit comme «la crise silencieuse» de l'Afrique.

Car s'il est vrai que la tragédie de l'épidémie du VIH suscite un regain d'intérêt de la part des médias, l'un de ses aspects les plus inquiétants, à savoir l'impact à long terme qu'aura sur les sociétés des pays en développement et sur le monde, la présence de millions d'orphelins, est insuffisamment mis en lumière. Sa portée à moyen terme est complètement mésestimée. Je ne vais pas vous abreuver de chiffres, mais bornons nous à l'essentiel: plus de 15 millions d'orphelins à travers le monde ont perdu un ou deux parents à cause du SIDA. En Afrique sub-saharienne, 12 millions d'enfants sont devenus orphelins à cause de cette pandémie. Le SIDA a donc déjà détruit une génération en Afrique subsaharienne et menace d'en détruire une autre. D'ici 2010, 25 millions d'enfants dans le monde auront perdu au moins un parent, à cause du SIDA.

Au cours de la dernière décennie, la proportion d'enfants orphelins du sida est passée de 3,5% à 32% et poursuivra sa croissance exponentielle tant que la maladie se propagera sans relâche!

De ce fait, toute une génération d'enfants risque donc d'être constituée d'orphelins. Leur santé, leurs droits, leur bien-être voire leur survie même sont menacés. Même si 80% des orphelins du SIDA se trouvent en Afrique, ce n'est pas le seul continent à être touché. Les experts les plus qualifiés estiment que des millions d'orphelins n'ont pas encore été recensés en Inde, en Chine et en Russie. Les ONG déplorent que les orphelins du sida souffrent de malnutrition et n'aient pas accès aux systèmes d'éducation. Contrairement aux autres orphelins, ils affrontent stigmatisation et discrimination du fait de la maladie dont sont morts leurs parents.

Voilà en effet le cœur du problème. En dehors du terrible impact psychologique que représente pour tout enfant la perte de ses parents, les enfants dont les parents sont morts du SIDA sont trop souvent montrés du doigt ou mis au ban de leurs communautés.

En Afrique subsaharienne où l'épidémie frappe le plus durement, la famille élargie prend généralement le relais pour s'occuper des enfants qui ont perdu leurs parents. Mais ce système de protection traditionnelle s'effondre par la propagation de la pandémie. C'est ce qui explique que les orphelins chefs de famille sont de plus en plus nombreux! Dans certains pays, une famille sur 10 est dirigée par un orphelin. Ces enfants doivent assumer des responsabilités qui les dépassent, pour éviter que leurs frères et sœurs soient séparés, ou privés de leur part d'héritage après la mort des parents. Moins de 1 de ces enfants sur 10 reçoit un quelconque soutien. Un grand nombre d'entre eux se retrouve à la rue. Le nombre d'enfants ne cesse d'augmenter dans les villes d'Afrique sub-saharienne et avec lui, le risque de ne pas survivre. Plus grave encore ces enfants deviennent des proies faciles et subissent plusieurs formes de maltraitance et d'exploitation: prostitution, travail forcé, utilisation dans des réseaux de drogues, de terrorisme ou dans l'armée.

C'est là qu'intervient un deuxième fléau de nos temps modernes: le recours barbare aux enfants-soldats dans les guerres et les conflits. Il n'y pas d'automatismes entre ces deux situations mais à mes yeux il convient de souligner le lien qui existe trop souvent entre ces deux malheurs.

En effet, laissés pour compte, abandonnés à leur condition intolérable, les orphelins du SIDA deviennent dans leur vulnérabilité une proie facile pour les «chasseurs de combattants» sans scrupule. Victimes d'un sort qui est déjà inacceptable, ces enfants sont enrôlés dans des milices armées pour livrer les combats les plus absurdes. Je voudrais aussi évoquer dans ce contexte les victimes oubliées des enfants soldats, à savoir les filles, à la fois combattantes et esclaves sexuelles.

Toutes ces injustices sont à mes yeux, profondément révoltantes, car l'innocence volée d'un enfant est un traumatisme irrémédiable. Alors que faire?

Notre premier devoir, est de ramener ces enfants de l'état sauvage afin qu'ils retrouvent une dignité humaine, car nous ne pouvons construire un futur commun, ou tout simplement évoquer des perspectives d'avenir pour l'humanité, en abandonnant ces enfants à ce sort atroce.

Loger, alimenter, éduquer et procurer de l'affection à ces enfants est un devoir moral de première nécessité. C'est aussi un élément essentiel du développement des pays concernés et je dirais même que c'est une condition essentielle pour un avenir de paix non seulement dans ces pays mais aussi dans leur région et dans le monde. Je voudrais rendre hommage ici à ces hommes et femmes, véritables héros de notre temps, qui travaillent chaque jour dans l'anonymat pour sortir ces enfants de cet enfer. Les besoins des orphelins du sida sont donc immédiats mais s'inscrivent également dans la durée car les plaies à guérir sont terriblement profondes. Ici, le destin de chacun est une question qui dépasse l'enjeu individuel. C'est le sort de régions entières dans le monde qui est en jeu. En effet le développement général de nombreux pays dépend des réponses que nous serons en mesure de donner aujourd'hui. Car en même temps que le Sida tue des êtres humains, il détruit la génération active de la société laissant les structures économiques, les structures étatiques et sociales, sans grand recours.

Voilà pourquoi, il faut d'urgence adopter des stratégies nationales pour renforcer les capacités des Etats, des collectivités et des familles à travers une coopération internationale qui doit également être renforcée. Quelles pistes sont donc susceptibles de donner des réponses à la mesure de cet enjeu capital?

Je voudrais les évoquer brièvement, car au-delà du constat il m'apparaît essentiel de mobiliser toutes les énergies. Nous l'avons dit, il faut d'abord soutenir les familles et les communautés qui sont de véritables filets de sécurité pour les orphelins du sida. Renforcer la famille, a dit Carol Bellamy, Directrice générale du Fonds des Nations Unies pour l'enfance est le seul moyen de répondre à la crise dans la pratique. Ensuite, il convient de généraliser l'accès à l'éducation, la santé et l'alimentation pour les orphelins et les enfants affectés par le sida.

Or c'est en favorisant l'accès à la formation que l'on donnera aux jeunes les compétences nécessaires afin de valoriser leur capacité de travail. L'on constate trop souvent que les enfants subissent de facto une discrimination dans l'accès à l'éducation à partir du moment où le VIH-SIDA touche leur famille.

Des écoles refusent régulièrement d'admettre les enfants affectés par le SIDA et n'ayant pas les moyens de payer les livres et uniformes et de régler les autres dépenses scolaires (certains pays comme le Kenya et l'Ouganda ont aboli les frais d'inscription à l'école primaire). Ainsi ce jeune garçon qui a dû arrêter l'école en raison d'une mauvaise santé mais également comme il le dit lui-même, parce qu'il s'est senti rejeté. Constamment harcelé, moqué par ses petits camarades, il a fini par abandonner l'école envahi par un grand sentiment de désespoir. Il faut par ailleurs créer ou maintenir un environnement juridique suffisamment protecteur, en promulguant des lois qui assurent un héritage aux orphelins et qui évitent qu'ils ne soient pas spoliés de leurs droits légaux.

Comme le dit «le rapport de l'UNICEF sur les enfants vulnérables», la mort d'un parent du SIDA sonne pour les enfants, en particulier pour les filles comme une condamnation. Elles ne peuvent pas recourir à leur héritage pour le bien de leur famille, ni obtenir de dons ou de prêts agricoles et se retrouvent sans ressources pour produire ou acheter la nourriture de la famille. Sans revenus et sans formation, elles se retrouvent plus exposées à la prostitution pour nourrir leur famille et également à l'exploitation, aux abus sexuels et par conséquent à la contamination.

Dernier défi d'envergure à relever enfin, la généralisation de l'accès aux traitements pour les enfants séropositifs prenant en compte leurs besoins physiques, psychologiques et sociaux. Il semblerait qu'à l'heure actuelle 2% des orphelins seulement reçoivent une aide sociale ou un accompagnement médical ou tout simplement humain.

Mesdames,

Face à ces fléaux, je suis convaincue que chacune d'entre nous peut être utile.

En vous parlant aujourd'hui, j'ai le sentiment d'être utile et de répondre à cet objectif. En effet j'espère trouver en vous les porte-voix d'une cause qui m'apparaît essentielle. Vous êtes en position de prendre des décisions ou d'influencer des décideurs ou des proches, qui sont à des postes clés auprès des organisations internationales. J'espère de tout cœur que mon plaidoyer sera de nature à vous convaincre et à aider les innombrables acteurs sur le terrain, dont on ne fera jamais suffisamment l'éloge. Il faut en effet mettre plus en lumière tous ces anonymes. Leur combat incessant force le respect et mérite notre profonde reconnaissance et notre soutien car face au nombre croissant d'orphelins, il est impératif que les Etats prennent le relais et complète leur action.

La journée mondiale des orphelins du SIDA qui vient d'avoir lieu le 7 mai dernier et ce pour la septième fois, est une initiative pleine d'espoir. Elle mérite d'avoir un écho plus retentissant afin que les pouvoirs publics, quels qu'ils soient, considèrent ces enfants vulnérables comme une priorité et que des mesures urgentes soient prises pour les réintégrer dans la société.

Devant l'ampleur de la tâche, nous ressentons certes beaucoup de modestie et d'humilité, du découragement parfois. Pour autant, je ne veux pas céder pas à la fatalité. Nous ne pouvons accepter les fléaux qui accablent l'humanité comme autant de faits acquis. Votre aide et votre contribution sont irremplaçables. J'ai une conviction inébranlable, celle que la contribution de chacun peut accomplir des «miracles». Je serai très heureuse que chacune d'entre vous, dans la mesure de ses moyens, s'engage dans cette voie.

Pour conclure, je voudrais être porteuse d'un message d'espoir, en citant l'anthropologue, Margaret Mead: «Ne doutez pas qu'un petit nombre de personnes déterminées puissent changer le monde, en fait, c'est toujours comme cela que ça a fonctionné».

Je vous remercie pour votre attention.